Permaculture, un art de vivre.
La vision développée par la permaculture participe, de manière essentielle, aux réflexions et aux actions que nous pouvons mener individuellement et collectivement pour rééquilibrer les différents systèmes en crise sur la planète. Car, au-delà de sa facette «jardinage » bien connue, ses principes ont des vertus régénérantes et curatives, quel que soit le thème de leur application…
Une des définitions les plus actuelles de la permaculture, qui reflète l’élargissement de son champ d’action, est : «la conception consciente de systèmes qui miment les modèles et les relations observés dans la nature, visant à obtenir une production abondante de nourriture, de fibres et d’énergie pour satisfaire les besoins locaux.»
En ce sens, la permaculture est une véritable approche éco-systémique du vivant. En effet, c’est grâce à ses principes de conception que peut s’organiser efficacement un cadre pour la mise en place de systèmes permanents et auto-régulés.
La permaculture n’est donc pas limitée aux paysages, aux compétences dans les domaines du jardinage biologique, de l’agriculture durable, de la construction de bâtiments bioclimatiques, de quartiers ou d’éco-villages, mais elle peut servir à concevoir, implanter, gérer et améliorer ceux-ci, ainsi que tous les efforts réalisés par des individus, communautés ou organisations pour construire un futur équilibré et durable.
Influence majeure
Le concept d’agriculture naturelle développé au Japon dès les années ’50 par Masanobu Fukuoka, l’auteur de «La révolution d’un seul brin de paille», peut être considéré comme une des racines de la permaculture. Ses recherches, inspirées du zen, du taoïsme, du shintoïsme et du bouddhisme, vont dans le sens d’une unification spirituelle entre l’Homme et la Nature. Fukuoka utilisait ce que la nature sait faire seule pour se débarrasser des techniques agricoles et parvenait, sans labour, sans désherbage, sans apport d’engrais, sans pesticide et sans taille, à obtenir des rendements équivalents aux méthodes de l’agriculture conventionnelle !
Sa vision, ses techniques de culture et la philosophie zen qui les sous-tend ont beaucoup inspiré Bill Mollison.
Observation & biomimétisme
Véritable «philosophie de conception», la permaculture est basée sur l’observation continue de la nature afin de concevoir des systèmes écologiques qui soutiennent le vivant dans son ensemble. Les éco-systèmes naturels représentent, en effet, des formes d’existence très évoluées puisque la nature a mis des millions d’années pour générer des équilibres parfaits, étagés sur de multiples couches et avec une infinité d’interactions qui ont toutes leur raison d’être. Observer ces systèmes et ces interactions pour les reproduire, par biomimétisme, aux différents systèmes humains témoigne d’une forme de sagesse et d’humilité, tout en étant particulièrement simple et efficace.
[Bill Mollison]
La permaculture s’appuie sur une éthique. C’est un ensemble de valeurs qui gouvernent la réflexion et l’action :
– Prendre soin de la Nature [les sols, les forêts et l’eau] ;
– Prendre soin de l’Humain [soi-même, la communauté et les générations futures] ;
– Partager équitablement [limiter la consommation, redistribuer les surplus].
Une des innovations de la vision permaculturelle est d’apprécier l’efficacité et la productivité des écosystèmes naturels par l’observation minutieuse et d’en dériver des principes directeurs universels applicables par tous. Ces valeurs sont vraiment au coeur de tout système de permaculture.
Chaque permaculteur peut développer ses propres principes. Certains en ajoutent de nouveaux à ceux qui font référence [ceux de Bill Mollison et de David Holmgren par exemple]. Ces principes, dont le nombre n’est donc pas fixé, évoluent au fil du temps en fonction de l’affinage des connaissances. Ils constituent une base croissante qui forme un filtre, un mode de pensée, une vision et une compréhension du monde qui accompagne le processus tout au long de sa création. Plus ces principes sont intégrés par l’individu, plus ils deviennent automatiques et font partie d’un mode de pensée et d’action, en nous faisant évoluer vers une forme de «culture permanente».
– prévoir l’efficacité énergétique ;
– évaluer l’emplacement relatif ;
– évaluer la circulation d’énergie ;
– évaluer l’effet de bordure ;
– faire en sorte que chaque élément ait plusieurs fonctions ;
– faire en sorte que chaque fonction soit remplie par plusieurs éléments ;
– travailler avec la nature plutôt que contre elle ;
– faire le plus petit effort pour le plus grand changement/résultat ;
– le problème est la solution [voir l’encadré].
Eco-design
Concrètement, pour concevoir un site permaculturel, qu’il s’agisse d’une petite propriété, région ou d’une zone industrielle, on pourra, par exemple, utiliser une approche d’ingénierie telle qu’OBREDIM [acronyme anglais pour «Observation, Boundarie, Resource, Evaluation, Design, Implementation & Maintenance»] qui se déroule en 7 points :
1. Observation : permet de récolter des informations qui serviront à comprendre le fonctionnement naturel du site. Ce n’est pas à proprement parler une étape, car l’observation est continue. Si elle démarre à la conception d’un système, elle est ensuite maintenue durant toute sa gestion. L’observation d’un site sur une année entière, au travers des quatre saisons, permet de prendre en considération de multiples facteurs : la topographie, les cycles biologiques de la faune, de la flore et du sol [les types de plantes et les «communautés végétales» qui se sont spontanément installées sur le site], les vents et leurs caractéristiques, l’écoulement des pluies et leur densité, l’ensoleillement et les ombres, le débit des cours d’eau, etc…
On peut aussi y ajouter toute la dimension énergétique et vibratoire ;
2. Boundaries [limites] : cette étape représente les facteurs limitants du projet, aussi bien matériels [limites géographiques, ressources financières] qu’immatériels [compétence, législation] ;
3. Ressources : les personnes impliquées dans le projet, les finances et tout ce que l’on souhaite et qu’il est possible de réaliser sur le site ;
4. Evaluation de ces trois premières étapes permet de se préparer pour les trois suivantes. C’est une phase où l’on prend en considération toutes les choses à portée de main avec lesquelles on va travailler [existantes ou que l’on souhaite développer] et où on évalue en détails les besoins spécifiques à la conception [exemple : besoin d’une personne-ressource compétente dans un domaine] ;
5. Design : une étape souvent vécue comme un processus créatif et intense où on utilise au maximum ses capacités à voir et à créer des relations synergiques entre tous les éléments listés dans la phase Ressources ;
6. Implementation : c’est littéralement la première pierre posée à l’édifice, quand on aménage le site en fonction de la chronologie et de l’agenda décidé ;
7. Maintenance : nécessaire pour garder le site à son maximum de santé, en faisant des ajustements mineurs si nécessaire. Un bon design évitera le besoin de recourir à des ajustements majeurs.
[Graham Burnett]
Comme nous le montre la géophysiologie [La théorie Gaïa de James Lovelock et Margulis], la vie exerce une forme de «rétrocontrôle » sur l’environnement, ce qui a pour conséquence de le modifier.
Il est donc vital pour le permaculteur de bien comprendre la fonction de chaque élément dans son environnement afin de le relier à bon escient aux autres éléments et ainsi éviter toute nuisance ou déséquilibre du système.
David Holmgren explique, par exemple, qu’«une limace a comme ‘stratégie’ de consommer des plantes qui sont tendres, en mangeant en priorité les plus tendres d’entre elles. Comprendre ce fonctionnement permet de lutter efficacement contre les limaces. On constate, en effet, que lorsque des mauvaises herbes coupées des allées sont placées à décomposer sur un jardin qui comporte des limaces, celles-ci vont en priorité se nourrir de ce ‘mulch tendre’ avant de s’attaquer a des plantes en pleine croissance, forcément plus dures que les herbes coupées, aussi tendres soient-elles… On a donc tourné l’effet de la limace sur son environnement à notre avantage, en acceptant qu’elle ait un effet sur notre jardin plutôt que d’essayer de l’annuler ou de lutter contre sa fonction».
Ce mode de pensée est applicable à tout ce que l’homme peut concevoir, d’un outil de cuisine à la conception complète d’une zone industrielle ou d’une ferme. Chaque permaculteur l’applique à tout ce qui est nécessaire pour construire un équilibre durable.
Equilibre durable
Un équilibre durable capable de subvenir à nos besoins, sans dépasser les limites écologiques, requiert une révolution culturelle plus importante encore que toutes celles qui ont agité le XX ème siècle. La conception permaculturelle et son action pendant les 35 dernières années ont démontré que cette révolution douce, bien que complexe et multifacette, est tout à fait possible. Pendant que nous tirons les leçons de nos succès et de nos échecs passés, les richesses factices continuent d’augmenter, tandis que les ressources naturelles continuent leur déclin, révélant l’évidence du lien de cause à effet entre les deux…
Les êtres humains seront donc de plus en plus amenés à adopter les stratégies permaculturelles comme voies naturelles et évidentes pour amorcer leur indispensable «descente énergétique» et ainsi vivre une réelle abondance au sein même des limites écologiques de Gaïa, la belle bleue.
Longue vie à tous les permaculteurs présents et à venir !
Olivier Desurmont
«Graines de Permaculture» et «Manuel de Permaculture» de P. Whitefield [Passerelle Eco],
«Légumes vivaces pour un potager perpétuel» de X. Mathias [Rustica], permaculturefrance.org, permacultureprinciples.com, en.wikipedia.org/wiki/Permaculture, permaculture.org.au
Paru dans l’Agenda Plus N° 248 de Juin 2013